brokeagain_front.jpgSe présentant sous une forme showcase de 18 titres avec le vocal suivi du dub, il serait réducteur d'attribuer ce nouvel album à King General seul, tant il résulte de l'étroite collaboration entre le chanteur et les Bush Chemists. Oui, dans Broke Again le dub a autant sa place que le reggae et c'est la raison majeure de notre intérêt pour ce disque ! Aussi nous tenterons de relever ici ce que chacun des chanteur/musiciens apportent à l'ensemble de l'album.
Broke Again se veut comme une suite voire remake modernisé du LP Money Run Tings, en effet on y retrouve les thèmes chers au premier volet : la critique sociale basée sur le vécu de King General lui-même et la conscience mystique rasta, l'ensemble étant ici replacé dans le contexte et la réalité d'aujourd'hui.
Le General reprends le micro avec une forme exceptionnelle et réellement surprenante pour un MC qui n'a plus 20 ans, misant d'avantage sur l'énergie avec un flow hérité des "champion DJs" de sound systems jamaicains, que sur le chant mélancolico-poétique développé à travers Money Run Tings. Le General est remonté à bloc et nous le fait comprendre sans détours !
Ainsi dès le premier titre Broke Again, il reprend la thématique sociale de son grand tube Money Run Tings : dans une actualité où l'ensemble du modèle capitaliste peine à se sortir d'une crise mondiale, c'est toujours fauché que le peuple doit faire face au erreurs de ses dirigeants. L'intensité du rub a dub du General place une proximité directe avec l'auditeur, tant dans son discours empreint de réalisme, qu'avec un style abordable par tous. Et l'instru des Bush Chemists contribue à ce juste équilibre tout en nous donnant un aperçu de la facture sonore de l'album : résolument axé digital façon 80s, Broke Again se situerai autant dans l'hommage que dans la modernisation du genre. La version dub des Bush Chemists (le 3ème cut du vinyle 12'' sorti au mois de juin dernier), assez classique, nous introduit en douceur à la tempête à venir.
Le premier coup de vent survient dès le 3ème tune avec un stepper ultra lourd comme seuls savent le concocter les Bush Chemists, Long Way To Go arbore une rythmique à 4 temps redoutable couplée à des skanks limpides et une ligne de basse dévastatrice : le terrain de jeu idéal pour tester la rapidité de flow du General qui s'en sort avec brio. La version dub est elle aussi un monument ! Reprenant en intro la base rythmique du cut vocal avec des beats perçants et une basse noyée de reverb, elle révèle peu à peu de ses entrailles un lion rugissant, faisant revenir en piste le contre-temps et percus digitales pour faire décrocher un skank libérateur aux plus réfractaire de steppa dub. Nous reviennent alors en tête les dubs cataclysmiques des albums Raw Raw Dub et Dub Fire Blazing, Dougie nous prouvant en 3mn24 absolument jouissives qu'il n'a clairement pas perdu la main côté dub mix.
Les lyrics de Wicked Them Wicked poursuivent dans la charge militante et sont mis en relief par la guitare de Dougie nous dressant un splendide décor de règlement de compte façon western entre le General et les pires patins de babylon.
thebushchemists.jpgGot To Be Conscious vient clore une première partie placée sous le signe de la critique sociale. Pur killer de dancefloor, le General y explose le compteur de débit de lyrics, invitant l'auditeur à rester constamment en éveil du monde environnant par le biais de la musique. La rythmique est inventive, sorte de break-beat digital couplé à une basse et des sons oldschool.
Le ton évolue vers des sphères plus mystiques avec Jah Army, King General renoue ainsi avec la poésie rasta de Lightening Strike du précédent LP. Le riddim porte clairement la signature de Chazbo, travaillé à la sauce Roots Temple avec des skanks cristallins, une rythmique bondissante et des phrases de sitar alternées aux harmonies de Sai du crew japonais Dub Juah Sound. Les amateurs de steppers méditatifs seront comblés avec une version dub poursuivant magistralement l'élan du vocal en conservant l'essence rythmique avec un beat répétitif et une basse sauvage et abandonnant un temps les skanks pour mieux les libérer par bribes, chargés de delay, du grand art...
On redescend des hauteurs de Zion avec Originality, toasté d'un seul souffle par un General impertubable. Le riddim flirte pour le coup avec le hip-hop, preuve encore une fois que les Bush Chemists n'ont pas peur des expérimentations sonores, et introduit enfin le trop rare melodica de Chazbo.
La version du positif One Day retiendra plus notre attention que son vocal un poil convenu, on pourrait même croire que l'album perd du souffle à cet instant mais l'inquiétude sera de courte durée car le trio de choc nous a réservé deux tueries pour la fin.
Véritable enflammeur de sound, You Wrong se révèle être une belle synthèse du style développé par King General et les Bush Chemists au cours du disque : du digital à l'ancienne dopé au steppa dub contemporain. Il est suivi d'un dub imparable, reprenant par bribes le vocal pour mieux le noyer dans un fleuve d'echo et libérant une furie rythmique mariée à une ligne de basse monstrueuse.
Who Say We Done est la salve finale, King General y évoque en rub a dub son parcours de MC et les raisons de son retour dans la scène aujourd'hui (Now The General's awake it's like a earthquake...un nouveau départ ?), le tout sur un remix digi-dub de The Next Episode de Dr Dre, le même riddim que le célèbre If A No Jah de Singer Blue.

Alors que le reggae digital des 80s a actuellement la cote auprès des sound systems, King General et les Bush Chemists livrent un brillant hommage au genre tout en lui apportant une sérieuse touche de modernité. Opportuniste direz-vous ? Eh bien non car si l'on se penche un peu sur l'ensemble de la discographie Conscious Sounds on se rend facilement compte que le digital a toujours été une composante essentielle du label avec notamment des tunes comme Good SinsemiellaKenny Knots y surfe le Sleng Teng riddim, Gunman chanté par... ah ben tiens King General !! jusqu'à plus récemment avec Mr Greedy chanté par le duo Fu-Steps.
Cette nouvelle rencontre entre King General et les Bush Chemists s'inscrit donc bien dans la continuité sonore du label, tout en lui redonnant au passage un sérieux coup de fouet.
Probablement la meilleure production Conscious Sounds de ces 5 dernières années, Broke Again est une vraie bombe de reggae dub made in UK dont les 18 titres ne manqueront pas de dévoiler toutes leurs petites subtilités au fil des écoutes. Virtuose, inspiré, militant, fun, fédérateur, en un mot comme en cent : wicked !! Un disque à se procurer de toute urgence.


Notes : Pour les mordus de vinyle, l'ensemble des titres de l'album sortiront en 12" dans les mois à venir (sauf Broke Again, qui a déjà bénéficié d'une sortie 12" au mois de juin dernier) à suivre...
Bravo à Fitz du crew Gangunguru Hi-Fi qui a signé le visuel de la pochette !
Photo des Bush Chemists (de gauche à droite, Culture Freeman, Chazbo, Dougie Conscious et King General) : Guillaume Coutret (thanks Musical Riot)